« Je défends la force de la faiblesse contre la force de la force »
Souvenez vous... je vous avais parlé de ces hommes qu'on appelle poètes...qui ont un rôle déterminant dans une société, ces hommes qui sont avant tout des êtres humains sensibles à ce qui les entoure, et ils deviennent les témoins de leur temps et d'un lieu Dailleurs, le poète, n'est-il pas un véritable homme politique dans notre société, il n'y a pas de décalage entre lui et le peuple, il vit parmi ses semblables au quotidien...il reste fidèle...il est loin de cette politique politicienne, des intérêts des uns ou des autres
Le poète dont je vais vous parler aujourd'hui, est absolument dans cette lignée de poètes, clairvoyants, attentifs et sur le fil des événements...il s'agit de MAHMOUD DARWICH, poète palestinien... Témoin, il se fait l'écho de la douleur d'un lieu, et sa plainte est celle de la terre palestinienne... Ce qu'il faut savoir c'est que ce palestinien que l'on peut considérer comme le chef de file de la poésie arabe contemporaine a vécu comme un réfugié dans son propre pays à cause de ses idées, il choisit la dissidence puis lexil auquel il sera contraint, en effet, il a émigré au Caire, à Beyrouth puis à Paris...
Comme tout poète engagé, il se bat avec ses armes que sont les mots, il y crie sa colère, son émotion, sa révolte à propos de certains traités...
Leur puissance se vérifie au moins à deux reprises, la première , lorsquil est enfant et doit écrire en classe un texte pour lanniversaire de la création de lEtat dIsraël ; il choisit décrire un poème qui décrit la fuite, le camp de réfugiés, son village rasé Sur ce, le gouverneur militaire le convoque et le menace de priver son père de son emploi sil recommence.
La deuxième fois, cest en 1988 au début de lIntifada, il voit des images à la télévision montrant des soldats israéliens brisant avec de grosses pierres les os de jeunes manifestants palestiniens la colère qui lenvahit fait que les mots viennent tout seul « sortez de notre terre/ de notre terre ferme, de notre mer/ de notre blé, de notre sel, de notre blessure »
Dans la majorité de ces poèmes, on y perçoit donc bien une dimension politique mais attention, elle nest pas pamphlétaire, cest une poésie plutôt implicite, écrite avec beaucoup de sensibilité et de fragilité
Darwich nous parle de la véritable détresse, de la souffrance intérieure, dont personne ne parle les images dhorreur se passent parfois de mots mais là dans ce cas contraire, où les mots parlent de la douleur notamment, celle de lexil, ils traduisent cette souffrance invisible, que la majorité ne perçoit pas puisquelle ne se voit pas
Pour poursuivre, il faut bien trouver une force ?! la sienne, il la puise dans le devoir de mémoire qu'il a pour les victimes de ce" jeu politique "
Jai lu deux de ces recueils, le premier intitulé, « la terre nous est étroite et autres poèmes » (poésie/ gallimard)est axé sur la terre, plus politique, plus engagé que le second. La poésie mapparaît comme un refuge, qui lui permet de rassembler les morceaux de cette histoire déchirée, déchiquetée
En effet, « Le lit de létrangère » (actes sud, 79 f)est un recueil qui parle damour pas de rapprochement possible entre la terre et la femme, « on sest habitué à penser que, pour moi, la femme, cest la patrie, il faut toujours que je prouve que je suis normal et que je fais lamour avec des femmes, pas avec la terre ! »(interview pour lhumanité)ce que je peux vous dire cest que ce recueil se démarque du premier il dit dailleurs lors dune autre interview : « Je voudrais être présenté au public israélien comme poète de lamour. Je veux que le public, tout le public, connaisse le poète qui est en moi, pas seulement le Palestinien qui est en moi. »Pourquoi ce choix ?
Parce que je ne voulais pas cataloguer Mahmoud DARWICH : poète palestinien et donc forcément engagé dans la cause palestinienne, je voulais montrer un autre aspect de sa poésie il est donc inutile de chercher un quelconque combat politique dans ce recueil après tout lamour nest pas exclu ni banni !
POÈMES CHOISIS
Il fut ce quil aurait été (extrait)
Je ne rêve maintenant de rien.
Je désire désirer.
Je ne rêve maintenant que dharmonie.
Désirer
Ou
Disparaître
Non. Ces temps ne sont pas mes temps.
La prison
Mon adresse a changé.
Lheure de mes repas,
Ma ration de tabac, ont changé,
Et la couleur de mes vêtements, et mon visage et ma silhouette.
La lune,
Si chère à mon cur ici,
Est plus belle et plus grande désormais.
Et lodeur de la terre : parfums.
Et le goût de la nature :douceurs
Comme si je me tenais sur le toit de ma vieille maison,
Une étoile nouvelle,
Dans mes yeux, incrustée.
Le poème de la terre
En mars, lannée de lintifada, la terre
Nous a divulgué ses secrets sanglants. En mars, cinq fillettes sont passées devant les lilas et les fusils.
Debout à la porte dune école primaire, elles se sont enflammées de roses et de thym de pays. Elles ont inauguré le chant du sable. Sont entrées dans létreinte définitive . Mars vient à la terre des entrailles de la terre, il vient, et de la danse des jeunes filles. Les lilas se sont légèrement courbés pour que passent les voix des fillettes. Les oiseaux ont tendu leur bec en direction de lhymne et de mon cur .
Je suis la terre
Et la terre cest toi
Khadija ! ne referma pas la porte.
Ne pénètre pas dans loubli.
En mars, cinq fillettes sont passées devant les lilas et les fusils.
Elles sont tombées à la porte dune école primaire. Sur les doigts, la craie prend les couleurs des oiseaux . En mars la terre nous a divulgué ses secrets.Je suis le témoin du massacre,
Le martyr de la cartographie,
Lenfant des mots simples.
Jai vu les gravats, ailes,
Et vu la rosée, armes.
Lorsquils ont refermé sur moi la porte de mon cur,
En moi dressé les barrages,
Instauré le couvre feu,
Mon cur est devenu une ruelle,
Mes côtes, des pierres.
Et lillet est apparu,
Apparu lillet.
La terre nous est étroite (1986)
La terre nous est étroite. Elle nous accule dans le dernier défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer.
Et la terre nous pressure. Que ne sommes-nous son blé, pour mourir et ressusciter.
Que nest-elle notre mère pour compatir avec nous. Que ne sommes-nous les images des rochers que notre rêve portera,
Miroirs. Nous avons vu les visages de ceux que le dernier parmi nous tuera dans la dernière défense de lâme.
Nous avons pleuré la fête de leurs enfants et nous avons les visages de ceux qui précipiteront nos enfants par les fenêtres de cet espace dernier, miroirs polis par notre étoile.
Ou irons-nous, après lultime frontière ? où partent les oiseaux, après le dernier
Ciel ? où sendorment les plantes, après le dernier vent ?
nous écrirons nos noms avec la vapeur
Carmine, nous trancherons la main au chant afin que notre chair le complète .
Ici, nous mourrons. Ici, dans le dernier défilé. Ici ou ici, et un olivier montera de
Notre sang.
Je dis tant de choses
Je dis tant de choses sur la différence ténue entre les femmes et les arbres,
Sur la magie de la terre, sur un pays dont je nai trouvé le tampon sur aucun passeport
Et je demande : mesdames et messieurs aux curs bons,
La terre des hommes est-elle, comme vous laffirmez, à tous les hommes ?
Où alors ma masure ? et où suis-je ?lassemblée mapplaudit
Trois autres minutes. Trois minutes de liberté et de reconnaissance lassemblée vient dapprouver
Notre droit au retour, comme toutes les poules et tous les chevaux, à un rêve de pierre.
Je leur serre la main, un par un, puis je salue en minclinant et je poursuis ce voyage
Vers un autre pays, où je dirai des choses sur la différence entre mirages et pluie
Et demanderai :mesdames et messieurs aux curs bons, la terre des hommes est-elle
A tous les hommes ?
Que ferons nous de lamour ?tu as dit
Pendant que nous rangions nos vêtements dans les valises.
Lemporterons-nous, le laisserons-nous suspendu dans larmoire ?
Jai dit : quil parte où bon lui semble
Car il a grandi et sest propagé.
Je tétreins jusquà disparaître, blanche brune.
Je disperse ta nuit puis je te ramasse, toute
Rien en toi nexcède ou ne manque à
Mon corps.
Tu es ta mère et sa fille
Et tu nais ainsi que tu le réclames à Dieu