82 pages Titre original : Sarîr al-gharîba Editeur original : Riad El-Rayyes Books Ltd, 1999
Arles, Actes Sud, 2000
Présentation de l'éditeur :
Après avoir publié en 1995 Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, où les éléments autobiographiques se voient transcendés par la biographie des lieux, Mahmoud Darwich donne ces poèmes damour qui disent " lexil de la femme dans lhomme et de lhomme dans la femme ".
Entrant en résonance avec une vieille tradition orientale, à la fois sensuelle et courtoise, il renouvelle lun des genres les plus subtils de la poésie arabe classique, le ghazal.
Extraits
IL NOUS MANQUAIT UN PRESENT
Partons tels que nous sommes :
Une dame libre
Et son ami fidèle.
Partons ensemble dans deux chemins.
Partons tels que nous sommes, unis
Et séparés.
Rien ne nous fait mal,
Ni le divorce des colombes
Ni le vent autour de léglise
Ou le froid au creux des mains.
Les amandiers nont pas assez fleuri.
Souris et ils fleuriront encore
Entre les papillons de tes fossettes.
Sous peu nous aurons un autre présent.
Retourne-toi, tu ne verras
Quexil, derrière toi :
Ta chambre à coucher,
Le saule de la place,
Le fleuve derrière les immeubles de verre
Et le café de nos rendez-vous tous, tous
Prêts à se muer en exil.
Soyons donc bons !
( )
Partons, tels que nous sommes :
Une femme libre
Et son ami fidèle
Partons tels que nous sommes.
De Babylone, nous sommes venus
Avec le vent
Et vers Babylone, nous marchons
Mon voyage nétait pas suffisant
Pour que, sur ma trace, les pins
Se changent en mots de louanges du lieu méridional.
Nous sommes bons ici. Vent du nord,
Notre vent, et méridionales, les chansons.
Suis-je une autre toi ?
Et toi, un autre moi ?
Ce nest pas mon chemin à la terre de ma liberté,
Mon chemin à mon corps
Et moi, je ne serai pas moi à deux fois
Maintenant que mon passé a pris la place de mon lendemain,
Que je me suis scindée en deux femmes.
Je ne suis ni orientale
Ni occidentale
Et je ne suis pas un olivier qui a ombragé deux versets.
Partons donc.
" Pas de solutions collectives aux obsessions personnelles. "
Il ne suffisait pas dêtre ensemble
Pour être ensemble
Il nous manquait un présent pour voir
Où nous étions. Partons tels que nous sommes,
Une femme libre
Et son vieil ami.
Partons ensemble dans deux chemins.
Partons ensemble
Et soyons bons
( )
CIEL BAS
Cest un amour qui va sur ses pieds de soie,
Heureux de son exil dans les rues.
Un amour petit et pauvre que mouille une pluie de passage
Et il déborde sur les passants :
Mes présents sont plus abondants que moi.
Mangez mon blé,
Buvez mon vin,
Car mon ciel repose sur mes épaules et ma terre vous appartient
As-tu humé le sang du jasmin indivis
Et pensé à moi ?
Attendu en ma compagnie un oiseau à la queue verte
Et qui na pas de nom ?
Cest un amour pauvre qui fixe le fleuve
Et il sabandonne aux évocations : Où cours-tu ainsi,
Jument de leau ?
Sous peu, la mer tabsorbera.
Va lentement vers ta mort choisie,
Jument de leau !
( )
Cest un amour qui passe par nous
Sans que nous y prenions garde.
Et il ne sait et nous ne savons
Pourquoi une rose dans un vieux mur nous disperse,
Pourquoi une jeune fille en pleurs à larrêt dun bus,
Croque une pomme et pleure encore et rit :
Ce nest rien, rien quune
Abeille qui vient de traverser mon sang
Cest un amour pauvre qui contemple
Longtemps les passants et prend
Le plus jeune pour lune : Tu as besoin
Dun ciel moins élevé.
Sois mon ami et tu pourras contenir
Légoïsme de deux êtres qui ne savent
A qui offrir leurs fleurs
Il parlait peut-être de moi, peut-être
De nous, mais nous ne le savions pas.
Cest un amour
( )
DEUX FAONS JUMEAUX
Au soir, sur les taches de lumière entre tes
Seins, hier et demain sapprochent de moi.
Jai été créé ainsi quil convient au poème dexister
La nuit naît sous ta couverture et lombre
Est perplexe ici et là-bas,
Entre tes rives et les mots qui nous ont ramenés à leur timbre :
" Jai posé ma droite sur ta chevelure,
Ma gauche sur les deux faons jumeaux dune biche
Et nous avons marché vers notre nuit particulière "
Es-tu réellement là ? Suis-je plutôt
Un amant précédent venu aux nouvelles de son passé ?
Dors sur ton âme paisible entre
Les fleurs des draps. Dors, une main posée sur ma poitrine
Et lautre sur le duvet qui poussera aux petits
Des mouettes. Dors ainsi quil convient au jardin
Alentour, de dormir Nous nous sommes emplis dun hier,
Emplis de lobsession dune guitare qui na pas de lit.
Cette passion qui déchire les pétales de roses
Epars autour de lenclos. Dors
Sur ma respiration, souffle second, avant quhier
Nouvre ma fenêtre sur ses deux battants. Je nai pas doiseau
National ni darbres nationaux ni de fleur
Dans le jardin de ton exil. Mais et mon vin
Voyage comme moi je partagerai avec toi hier et demain.
Sans toi, sans la bruine qui scintille dans les taches
De lumière entre tes seins, ma langue aurait dévié
De sa féminité. O combien, moi et ta mère la poésie
Et tes deux petits, nous sommeillons sur les faons jumeaux dune biche !
( )
JE NAI ATTENDU PERSONNE
Je saurai, quoique tu partes avec le vent, comment
Te ramener. Je sais doù vient ton lointain.
Pars donc ainsi que les souvenirs vers leur puits
Eternel, tu ny trouveras pas la Sumérienne portant une jarre
Pour lécho et tattendant.
Quant à moi, je saurai comment te ramener.
Pars donc derrière les flûtes des vieux peuples de la mer et
La caravane du sel dans son périple infini. Et pars,
Ton chant séchappe de moi, de toi et de mon temps.
Il cherche un nouveau cheval qui fasse danser sa cadence
Libre. Tu ne trouveras pas limpossible assis tattendant, comme au jour où
Je tai trouvé, où je tai enfanté de mon désir.
Quant à moi, je saurai comment te ramener.
Et jirai avec le fleuve dun destin à
Un autre, car la lune est prête pour te déraciner
De ma lune et sur mes arbres, les paroles dernières sont prêtes
A tomber place du Trocadéro. Retourne-toi
Pour trouver le rêve et pars
Dans nimporte quel orient ou occident qui te lestent encore dexil
Et méloignent dun pas de mon lit et de lun
Des ciels de mon âme triste. La fin
Est sur du commencement. Pars et tu trouveras ce que tu as laissé
Ici, tattendant. Je ne tai pas attendu et je nai attendu personne.
Mais je devais, comme toutes les femmes solitaires
Dans leurs nuits, coiffer mes cheveux
Lentement, gérer mes affaires, briser
Sur le marbre, le flacon deau de Cologne et interdire à mon âme
De soccuper delle-même, lhiver.
Comme si je lui disais : Réchauffe-moi
Et je te réchaufferai, ô mon épouse, et prends soin de tes mains.
Que leur importe la descente du ciel sur terre
Ou le voyage de la terre au ciel ?
Prends soin de tes mains, quelles te portent tes mains sont tes maîtresses, disait Eluard Pars
Je te veux et ne te veux point
Je ne tai pas attendu, je nai attendu personne
Mais je devais verser le vin
Dans deux coupes brisées et interdire à mon âme
De soccuper delle-même en tattendant !