Mahmoud Darwich, un poète rentre d'exil
LE MONDE | 23.08.01 |
En éditant sa revue littéraire, Al-Karmel, dans son pays d'origine, l'écrivain palestinien veut encourager la création libre.
Poète de l'exil, homme du voyage, Mahmoud Darwich est venu installer sa table de travail à Ramallah en 1996, quelques mois après le retrait de l'armée israélienne.
Il a posé ses livres et sa prestigieuse revue littéraire, Al-Karmel, au cur du principal foyer artistique de Cisjordanie, dans les locaux du centre culturel Sakakini.
La revue que l'écrivain, considéré comme l'un des plus grands poètes arabes contemporains, a fondée à Beyrouth au début des années 1970 est désormais publiée en terre palestinienne.
"Cette année, je lutte pour continuer à composer ma poésie ici, explique-t-il. Mes lecteurs attendraient de moi que j'écrive en réaction à la situation politique, que je commente l'Intifada. Je ne veux pas succomber à ces pressions et, pour parvenir à écrire chaque jour, je me réfugie parfois à Amman (Jordanie). Là, dans une chambre à moi, je continue mon uvre poétique."
Né en 1941, Mahmoud Darwich a dû quitter deux fois son village natal de Galilée, près de Saint-Jean-d'Acre : en 1948 d'abord, au moment de la création de l'Etat d'Israël ; puis en 1950, lorsque, à son retour du Liban, la famille Darwich découvre que son village a été rasé et remplacé par une colonie de peuplement israélien.
Doué à l'école, il se réfugie très tôt dans la poésie.
"Mes premiers contacts avec la poésie se firent à travers des chanteurs paysans pourchassés par la police israélienne. Ils venaient la nuit au village, participaient aux veillées et disparaissaient à l'aube dans les montagnes. Ils chantaient des choses étranges que je ne comprenais pas, mais que je trouvais très belles et qui me touchaient", écrit-il dans la postface de La Terre nous est étroite, recueil paru dans la collection "Poésie" chez Gallimard (2000).
Après avoir vécu à Beyrouth, au Caire, à Tunis ou à Paris, après s'être passionné pour la culture des Indiens d'Amérique, l'auteur de longues stances lyriques estime que sa forme de "résistance profonde" consiste à écrire sur l'amour, la vie ou la nature.
Depuis son retour en Palestine, il a publié un recueil de poèmes d'amour, Le Lit de l'étrangère (Actes Sud).
"L'occupation israélienne que nous subissons est longue. Même le langage, la parole, sont "occupés", au sens où nous finissons par ne plus parler que de l'actualité politique. Je tente d'écouter mon cur pour résister à cette fermeture."
"ÉCRIRE POUR LA POÉSIE"
Traduite en hébreu, son uvre poétique a été inscrite dans les programmes scolaires israéliens, à titre facultatif, après un débat houleux au Parlement israélien en mars 2000.
En installant Al-Karmel en Cisjordanie, Mahmoud Darwich a modifié la politique éditoriale de sa revue, éditée simultanément à Amman pour faciliter sa diffusion en pays arabes. Elle accorde désormais plus d'attention à la culture et à la pensée israéliennes, ainsi qu'à la mémoire collective palestinienne.
Aux poètes de la jeune génération, cet ancien membre du comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) conseille de "s'éloigner le plus possible de la question nationale, d'écrire pour la poésie et non pour exprimer le rejet de l'occupation, de ne pas prendre la Palestine comme sujet ni comme slogan".
Ce conseil, le jeune poète Hossein Barghouty, dont plusieurs textes ont été publiés par Al-Karmel, l'a suivi.
Pourtant, la réalité ne désarme pas. Le jour où nous avons rendez-vous dans son village de Qobar, à quelques kilomètres de Ramallah, un barrage militaire israélien empêche le passage des voitures. Très nerveux, les soldats limitent celui des piétons, à coups d'ordres hurlés et de tirs de puissantes grenades lacrymogènes, la mitraillette pointée sur les passants. Des villageois qui rentrent du travail s'engagent sur de petits chemins de terre pour contourner le barrage. D'autres attendent une accalmie, bloqués en pleine campagne sous le soleil brûlant de la mi-août. L'épouse de Hossein Barghouty, employée du théâtre Al-Kasaba, situé au centre de Ramallah, n'a pu se rendre à son travail depuis plusieurs jours. Le lendemain, dans une atmosphère à peine moins tendue, la présentation du passeport français nous ouvrira cette fois le passage.
"Pendant plusieurs décennies, les courants dominants du mouvement palestinien étaient issus du nationalisme ou d'un certain marxisme.
Cette idéologie a produit des militants, plutôt que des artistes, estime Hossein Barghouty.
Puis la guerre du Golfe, la chute de l'URSS, l'effritement du nationalisme arabe et les accords d'Oslo ont fait vaciller cette idéologie."
Dans sa maison isolée, bordée d'oliviers vieux de plusieurs siècles, cet écrivain sensible à l'univers des légendes et aux expériences mystiques veut croire à l'émergence de nouvelles voix, d'esthétiques neuves chez les jeunes artistes, ceux qui cherchent, dit-il en citant Mahmoud Darwich, "l'envers des mots".
"Dans les hymnes que nous chantons il y a une flûte
Dans la flûte qui nous habite couve un feu
Dans le feu que nous allumons gît un phénix
Dans le requiem du phénix
Je n'ai pas reconnu mes cendres de ta poussière"