Traduit de larabe par Abdellatif Laâbi
Publié avec le concours de lUNESCO,
dans la "collection Unesco d’oeuvres représentatives",
série arabe.
Cet ouvrage a été établi d’après les oeuvres de M. Darwich
Hissarun li madahi al-Bahr (Blocus pour panégyriques de la mer),
Ceres-Productions, Tunis, 1984
et Wardun Aqall (Plus rares sont les roses),
éditions Toubkal, Tunis, 1986
96 pages
Minuit, 1989
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Extraits
PLUS RARES SONT LES ROSES
(...)
Laéroport dAthènes
Laéroport dAthènes nous répartit dans les aéroports. Le combattant a dit : où combattrai-je ? Une femme enceinte lui a crié : où toffrirai-je ton enfant ? Le fonctionnaire a dit : où ferai-je des affaires ? Lintellectuel a rétorqué : cest ton affaire. Les douaniers ont demandé : doù êtes-vous ? Nous avons répondu : de la mer. Ils ont demandé : où allez-vous ? Nous avons répondu : à la mer. Ils ont demandé : votre adresse ? Une femme de notre groupe a répondu : mon village, cest mon baluchon. A laéroport dAthènes, nous avons attendu des années. Un jeune homme a épousé une jeune fille et ils nont pas trouvé de chambre pour consommer rapidement le mariage. Il sest demandé : où vais-je la déflorer ? Nous avons ri et lui avons dit : cette question na pas lieu dêtre, jeune homme. Lanalyste a dit : ils meurent pour ne pas mourir. Ils meurent par hasard. Lhomme de lettres a dit : notre camp va sûrement tomber. Que veulent-ils de nous ? Chaque jour, laéroport dAthènes changeait dhabitants. Et nous, nous sommes restés comme des bancs sur les bancs, à attendre la mer, pour combien dannées, ô aéroport dAthènes ?
(...)
Le dernier train sest arrêté
Le dernier train sest arrêté au dernier quai. Et personne
Pour sauver les roses. Nulle colombe pour se poser sur une femme en chair de parole.
Le temps sest achevé. Le poème ne peut guère plus que ce que lécume a pu.
Ne crois pas nos trains, ô amour, nattends personne dans la cohue.
Le dernier train sest arrêté au dernier quai, et personne
Ne peut retourner aux narcisses retranchés dans les miroirs de la pénombre
Où laisserai-je ma dernière description de ce qui mest advenu comme corps ?
Est fini ce qui est fini. Où est ce qui est fini ? Où viderai-je ce qui mest advenu comme pays ?
Ne crois pas nos trains, ô amour, les dernières colombes se sont envolées, envolées
Le dernier train sest arrêté au dernier quai et personne.
(...)
Quand les martyrs vont dormir
Quand les martyrs vont dormir, je me réveille et je monte la garde pour éloigner deux les amateurs déloges funèbres.
Je leur souhaite " bonne patrie ", de nuages et darbres, de mirages et deau.
Je les félicite davoir échappé à laccident de limpossible, à la plus-value de la boucherie.
Je vole du temps afin quils me volent au temps. Sommes-nous tous des martyrs ?
Et je murmure : ô mes amis, laissez un seul mur pour les cordes à linge, une nuit pour les chansons.
Je suspendrai vos noms où bon vous semble, mais dormez un peu, dormez sur léchelle de la vigne acide.
Que je protège vos rêves des poignards de vos gardiens et du revirement du Livre contre les prophètes.
Soyez lhymne de celui qui na pas dhymne lorsque vous irez dormir ce soir.
Je vous souhaite " bonne patrie " montée sur un coursier au galop
Et je murmure : ô mes amis, vous ne serez pas comme nous : corde dune obscure potence !
(...)
Pour la première fois, il voit la mer
Pour la première fois, il voit la mer, de lintérieur
Notre bateau transporte la terre ferme, lui cherchant des havres.
Nous défendions le devoir des mots et le talon dAchille.
Nous poursuivions ce périple vers le commencement. Qui arrêtera la mer pour que nous trouvions le commencement sur son rivage ?
Le romancier dentre nous tirait le bateau en arrière, voulant retourner à la voix de Beyrouth : ne partez pas ! Il écrivait un nouveau chapitre sur les miracle, et son meurtrier.
Et, quand il eut fini de le rédiger, les héros de son histoire se sont mis à jouer.
Ils ont pissé sur lui, pissé sur Babel
Pour quil voie la mer, de lintérieur,
Et porte le fardeau de la parole sur ses épaules.
(...)
BLOCUS POUR PANÉGYRIQUES DE LA MER
Senvolent les colombes
Senvolent les colombes
Se posent les colombes
Prépare-moi la terre, que je me repose
Car je taime jusquà lépuisement
Ton matin est un fruit offert aux chansons
Et ce soir est dor
Nous nous appartenons lorsque lombre rejoint son ombre dans le marbre
Je ressemble à moi-même lorsque je me suspends
Au cou qui ne sabandonne quaux étreintes des nuages
Tu es lair se dénudant devant moi comme les larmes du raisin
Lorigine de lespèce des vagues quand elles sagrippent au rivage
Et sexpatrient
Je taime, toi le commencement de mon âme, toi la fin
Senvolent les colombes
Se posent les colombes
Mon aimé et moi sommes deux voix en une seule lèvre
Moi, jappartiens à mon aimé et mon aimé est à son étoile errante
Nous entrons dans le rêve mais il sattarde pour se dérober à notre vue
Et quand mon aimé sendort je me réveille pour protéger la rêve de ce quil voit
Jéloigne de lui les nuits qui ont passé avant notre rencontre
De mes propres mains je choisis nos jours
Comme il ma choisi la rose de la table
Dors, ô mon aimé
Que la voix des murs monte à mes genoux
Dors, mon aimé
Que je descende en toi et sauve ton rêve dune épine envieuse
Dors, mon aimé
Sur toi les tresses de ma chevelure. Sur toi la paix
(...)
Jai vu le pont
LAndalousie de lamour et du sixième sens
Sur une larme désespérée
Elle lui a remis son cur
Et a dit : lamour me coûte ce que je naime pas
Il me coûte mon amour
Puis la lune sest endormie
Sur une bague qui se brisait
Et les colombes se sont envolées
Lobscurité sest posée
Sur le pont et les amants