coll. "Archives privées",
traduit de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar,
Titre original - Lâ urîdu li-hâdhî I-qasîdati an tantahî
Editeur original - Riad El-Rayyes Books, Beyrouth
150x205, photographies d'Ernest Pignon-Ernest,
96 pages - 21,00 €
Actes Sud, avril 2010
copyright Succession MD, 2009
Le point de vue des éditeurs :
"Qui suis-je pour vous dire
ce que je vous dis,
moi qui ne fus pierre
polie par l'eau
pour devenir visage
ni roseau troué par le vent
pour devenir flûte...
Je suis le lanceur de dès.
Je gagne des fois,
je perds d'autres fois.
Je suis comme vous
ou un peu moins...
Ce long poème de Mahmoud Darwich, Le Lanceur de dès, a rapidement fait le tour du monde arabe dès sa publication en juillet 2008, un mois avant la mort du poète. Emprunt d'une douce mélancolie, il résume toute une vie, et notamment les hasards de l'histoire qui ont permis à un enfant de Galilée, issu d'une famille modeste, d'échapper plusieurs fois à une mort certaine pour devenir l'homme mûr qui la sent désormais toute proche et l'affronte avec lucidité.
Les autres poèmes qui figurent dans ce recueil ont tous été récités par Mahmoud Darwich ou publiés dans des journaux avec son assentiment durant les deux ou trois années qui ont précédé sa disparition. Ils explorent pour l'essentiel, de façon totalement inédite, le thème central de toute son oeuvre, celui d'un pays "tombé" un jour des cartes du monde.
Ernest Pignon Ernest avait portraituré Mahmoud Darwich de son vivant et projetait de lui rendre visite à Ramallah. La mort du poète l'a décidé à donner un nouveau sens à son voyage : défier l'absence en apposant le portrait de Darwich sur les murs, dans des lieux symboliques de Palestine.
Les photographies qui illustrent ce livrent en gardent la trace...
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Extraits
Le lanceur de dès
Qui suis-je pour vous dire
ce que je vous dis,
moi qui ne fus pierre polie par l'eau
pour devenir visage
ni roseau troué par le vent
pour devenir flûte...
Je suis le lanceur de dès.
Je gagne des fois, je perds d'autres fois.
Je suis comme vous
ou un peu moins...
Je suis né près du puits
et des trois arbres solitaires telles des nonnes.
Je suis né sans flonflons ni sage-femme.
J'ai reçu mon nom par hasard,
par hasard,
appartenu à une famille,
et hérité de ses traits, ses caractères
et ses maladies :
Premièrement : Problèmes artériels et hypertension.
Deuxièmement : Pudeur devant le père, et la mère et la grand-mère arbre.
Troisièmement : Illusion que la grippe se guérit par une infusion chaude de camomille.
Quatrièmement : Paresse à évoquer l'antilope et l'alouette.
Cinquièmement : Ennui durant les nuits d'hiver.
Sixièmement : Inaptitude flagrante au chant.
Je n'étais pour rien dans ce que je fus.
Le hasard m'a fait de sexe masculin...
par hasard j'ai vu l'astre lunaire,
pâle tel un citron,
courtiser les femmes encore réveillées
et je n'ai pas fait d'effort pour trouver
un grain de beauté
au plus intime de mon corps !
(...)
J'ai la chance de dormir seul,
d'écouter ainsi mon cœur,
de croire en mon talent à déceler la douleur
et appeler le médecin,
dix minutes avant de mourir,
dix minutes suffisantes pour revivre
par hasard et décevoir le néant.
Mais qui suis-je pour décevoir le néant ?