numéro 20
consacré à Mahmoud Darwich,
réalisé en étroite collaboration et grâce au soutien
de l’IISMM (Institut d’Etudes de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman),
de l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales)
juin 2002
SOMMAIRE
Avant-dire : Mahmoud Darwich poète Terre, exil, encerclement : une poésie de létat de siège ; par Gilles Ladkany, Pierre Grouix Prologue : Paradoxes galiléens ; par Gilles Ladkany Lencre et le sang : Poèmes de Mahmoud Darwich
- état de siège
- poème mural (fragments)
- sur une pierre cananéenne de la Mer Morte
A fleur de voix : Entretiens
- étapes dun parcours poétiques
- sans poésie ma vie na pas de sens
- Ramallah, 1999
- synthèse, de Rania Samara
- Beyrouth, 1982
- Farouk Mardam-Bey Au fil du texte : Commentaire traduction de Gilles Ladkany Paroles descortes études
- Jean-Michel Maulpoix, Chant de la Palestine
- Bernard Mazo
- Khadim Jihad Hassan
- Richard Robert
- Saloua Ben Abda
- Jean-Louis Ferrignaud
- Marc Kober, Mahmoud Darwich ou le sang donné contre le sang versé
- Raphaël Bertocchi, Pays empêché
- Dominique Grandmont, Citoyens de lurgence
- Ahmad Dahbour, A ce propos, Mahmoud Darwich
- Dounia Abourachid, Depuis la révolution poétique
- Salma Khadra Jayyusi, lAscension de Mahmoud Darwich
- Khadim Jihad Hassan, Mahmoud Darwich : une traversée poétique
- Pierre Grouix, Comme un commandeur qui ne commanderait pas : Darwich, poète de la poésie
- Saloua Ben Abda, Le vent, lombre et loiseau Textes offerts En amont dune poésie, par Badr Shàkir as-Sayyàb Compagnons de route, invités du feu : Poèmes palestiniens
- Tawfiq Zayyad
- Samih al-Qâsim
- Walid Khaznadar
- Ghassan Zaqtane
- Hussein Jamil Barghouthi Anthologie : les invités permanents du feu
- Mohamed Dirawi
- Ashraf al-Zaghal
- Bachir Shalash
- Ghàda Shàfii
- Anas al-Illa
- Walid al-Sheikh Etoilement poétique :
- Ounsi el-Hage
- Paul Chaoul
- Abdo Wazen
- Abdelmoneim Ramadân
- Amjad Nasser
- Saadi Youssef
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Avant-dire : Mahmoud Darwich poète Terre, exil, encerclement : une poésie de létat de siège
par Gilles Ladkany, Pierre Grouix
Cest dans la tourmente du siège, dans le poème de Ramallah encerclée (Etat de siège, janvier 2002) que Mahmoud Darwich sait trouver les mots les plus simples et les plus fraternels. Les plus simples : évocations dune vie à venir, une vie chez soi, quotidienne et colorée, souvenirs de ses propres poèmes (A ma mère) ; les plus fraternels : une invite à ladversaire à partager le café arabe préparé à la maison : " Vous ressentirez que vous êtes hommes comme nous ". Nulle haine, des regrets. Une mère vient de mourir. Elle portait un enfant palestinien innocent et sans haine. Cétait peut-être le fiancé promis à la propre fille du soldat, lors dune rencontre à venir sur le banc de la même école, mais qui naura jamais lieu. Les similitudes des destins sont rappelés. Sil avait médité, sil avait reconnu dans les traits de la victime le masque de la mort que portait sa propre mère tuée, là-bas, sur dautres rives, par dautres mains, en dautres temps, le soldat aurait sûrement épargné la victime. Le visage horrible de la mort se répète, pareil à lui-même, doù quil vienne.
Paradoxes : que le poète de la terre soit celui des sonates amoureuses (Le lit de létrangère, 1999) ; que le poète des chants sereins dUn amoureux de la Palestine (1966), écrit à lombre des oliviers du Carmel, soit le poète visionnaire dune mort pressentie, quelle soit mort personnelle, ou communauté en sursis dans Poème mural (2000), le dernier recueil.
Déjà Rien quune autre année (1982), poème de Darwich, implorait répit dans Beyrouth encerclée quil quittait. Que lauteur nationaliste de Carte didentité (1966) soit lun des rares poètes dont le regard lucide a su entrevoir dans la relation fraternelle et fratricide qui unit Abel et Caïn dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? (1997) les signes de la coexistence et du pardon : tels sont les paradoxes dune poésie du tragique que tente de dénouer, ou de consacrer ces pages. Poésie qui fait de la double expérience de lexil, lexil du poète, lexil choisi de Rita, la juive israélienne aimée, sa matrice profonde. Exil, seule terre du poète, car seul il permet à un imaginaire cosmique de se déployer à la lumière multiple des mythes, de la Bible et du Coran, mais aussi de luniversalité. Tissée de mots, de rythmes et de cadences, cette poésie se renouvelle de recueil en recueil. Eclairer cette écriture des feux des propres poèmes de Darwich, des dires de poètes et de critiques de lautre rive : tel pourrait être le propos de ce numéro.
Oscillation constante dune poétique, donc, fondée sur lexil et la terre : terre magnifiée, terre de Palestine où chaque fois les blanches colombes reconquièrent le ciel, après le passage des avions meurtriers ; exil forcé, exil dans la terre même de la ville où il est ancré, exil désiré, car au bord même de la mort, le poète reste libre de choisir sa destinée. " Nous sommes les invités de léternité " conclut le poème Etat de siège.