Le projet Poésies d'exil
Victor Hugo et Mahmoud Darwich
La beauté des langues,
matière brute de la poésie ;
comme un rempart à toutes les barbaries !
"Car en fin de compte, nous sommes tous des exilés.
Moi et l'Occupant, nous souffrons tous les deux de l'exil.
Il est exilé en moi et je suis la victime de son exil.
Nous tous sur cette belle planète, nous sommes tous voisins,
tous exilés, la même destinée humaine nous attend,
et ce qui nous unit c'est de raconter l'histoire de cet exil".
Mahmoud Darwich
Le projet Poésies d'exil est de réunir deux voix. L'une venant du passé et de l'Occident ; l'autre d'aujourd'hui et d'Orient. Victor Hugo et Mahmoud Darwich. De faire une mise en espace des poèmes de ces deux grands auteurs, qui seront dits alternativement en arabe et en français par deux comédiennes françaises et deux comédiens palestiniens dans les territoires occupés.
Nous avons souhaité bâtir, avant tout, ce projet sur un engagement poétique, et particulièrement sur ce que ces deux poètes nous racontent de leur propre exil. Ne rien induire d'autre que des mots de colère, de résistance, de dignité, d'engagement, d'attitude face à l'exil. Ne pas chercher de correspondances entre Victor Hugo, le poète occidental du 19ème siècle, et Mahmoud Darwich, le chantre contemporain des Palestiniens mais seulement des mises en perspective. La poésie comme expression de la liberté.
Beaucoup de choses s'imaginent ici et prendront corps là-bas. Ainsi
La mise en espace est sobre : des bougies éclairent la scène. Fragilité de la lumière comme de la poésie dans ce monde de l'hyper violence technique ; lente "consummation" du temps de l'exil comme la cire qui fond.
Sur scène, un calligraphe est présent et emplit une toile blanche de signes. L'écrit rencontre l'oral et le fixe au fur et à mesure comme pour en garder trace, celle du témoignage. A la fin du spectacle un livre est publié et une peinture calligraphique est ouverte au public qui peut monter sur scène pour la regarder !
Comme la poésie n'est jamais très loin de la chanson ni de la musique ; un musicien accompagne les lectures et improvise au oud pour donner de l'épaisseur à la voix, sans tomber dans l'illustration.
Nous partirons dans les territoires occupés, vers l'inconnu. La seule chose dont nous sommes sûres, ce sont les poèmes que nous avons choisis. Nous partons avec cette dramaturgie poétique, cependant nous ne connaissons aucun des comédiens avec lesquels nous jouerons. La langue arabe nous est mystérieuse, il nous faudra la déflorer, l'approcher pour que nos deux langues trouvent une harmonie. Nous serons les metteurs en scène et pourtant nous ne connaissons aucun des lieux dans lesquels nous jouerons. Nous irons à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem Est et à chaque fois nous aurons trois jours pour rencontrer une nouvelle équipe artistique. Car si nous, nous pouvons circuler, les artistes palestiniens non.
L'éphémère du théâtre et la fragilité de la représentation théâtrale trouvent leur écho dans la situation politique instable de la Palestine...
"Je suis ce qui renaît quand un monde est détruit.
O nations! Je suis la poésie ardente.
J'ai brillé sur Moïse et j'ai brillé sur Dante.
Le lion océan est amoureux de moi.
J'arrive. Levez-vous, vertu, courage, foi!
Penseurs, esprits, montez sur la tour, sentinelles!
Paupières, ouvrez vous, allumez-vous, prunelles,
Terre, émeus le sillon, vie, éveille le bruit,
Debout, vous qui dormez! - car celui qui me suit,
Car celui qui m'envoie en avant la première,
C'est l'ange Liberté, c'est le géant Lumière!"
"Stella", Victor Hugo, 1853
1802 -2002. Ce siècle a toujours deux ans. En effet Victor Hugo reste d'actualité. Au carrefour de l'histoire littéraire et de l'histoire politique; Hugo traverse le XIX° siècle de ses controverses et de ses coups de colère. Un homme jamais en paix ; toujours en recherche d'un seul mot pour qu'il devienne réalité : liberté.
Le prix de la liberté fut élevé : 20 ans d'exil loin de la terre où sa fille Léopoldine était enterrée. Aucun compromis ; aucune concession. En exil dans les îles anglo-normandes, Victor Hugo écrit les Châtiments : six mille vers nourris de tous les chagrins et de toutes les colères de l'homme devenu libre par le paradoxe de l'exil.
Comment rendre compte de cette déchirure ? Comme le dit JP Richard dans Etudes sur le Romantisme : "écrire; d'abord, pour lui, c'est faire être le chaos, c'est le créer dans les mots qu'il emploie pour le nommer; car hors de ces mots il n'existe pas". La poésie prend toute sa dimension. "Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant".
L'oeuvre de Hugo trouve un écho saisissant dans l'actualité palestinienne. Certains poèmes comme "Souvenir de la nuit du 4" prennent une perspective nouvelle en confrontation avec certaines images actuelles. Victor Hugo pouvait se faire aussi reporter de l'indignation quand la guerre touchait des enfants innocents. Mais plus profondément; on peut trouver des liens entre l'ouvre du poète Mahmoud Darwich et celle du poète français. Jawwaz essafar et Ultima verba parlent de l'exil, de la nostalgie de la terre, de l'apatride.
Baudelaire disait qu'il pouvait se passer de pain mais jamais de poésie. De même la poésie est un vecteur essentiel de la culture arabe: le tarab s'empare de l'assistance et l'inonde de plaisir. Bien plus qu'un baume, la poésie est un accompagnement pour tenter de mettre un sens que la souffrance dissimule parfois. Plus qu'une aide au travail de deuil; elle permet d'ajouter de l'âme à la douleur.
De ce faisceau d'éléments est né le projet Poésies d'exil.
Peut-être n'irons-nous jamais jouer là-bas? Tant que ce spectacle ne pourra exister dans les territoires occupés, il n'aura pas de légitimité en France. Poésies d'exil a besoin pour sa création de réponses que nous trouverons sur place. Nous tenons à faire partager aux artistes palestiniens la suite de cette aventure ici. Pour que ce projet puisse un jour exister ici, si vous êtes intéressé et voulez nous aider sous quelque forme de partenariat que ce soit, n'hésitez pas à nous contacter.
Luc Briard (Directeur du Centre Culturel Français de Gaza), Isabelle Bensoussan
et Sandrine Briard (Compagnie Fulgurance)