ÉTAT DE SIÈGE devient une cantate
composée par Garrett List
Création le 26 janvier 2005 au festival de Liège, le Manège
Portés en cantate, les vers de Mahmoud Darwich ouvrent les 14es Sons d'hiver
Garrett List a mis en musique le recueil "Etat de siège" du poète palestinien.
En 2002, alors que l'armée israélienne ne cesse de réoccuper Ramallah (Jordanie) et les villes palestiniennes théoriquement autonomes depuis les accords d'Oslo de 1993, le poète Mahmoud Darwich compose son recueil Etat de siège. Peu après, une chorale d'amateurs de Liège (Belgique) demande au compositeur Garrett List de mettre le texte de l'auteur palestinien en musique.
Le musicien américain, formé à la Juilliard School de New York, compose alors une cantate en deux versions, l'une pour les amateurs, l'autre, plus ample, pour solistes, chœur et orchestre. C'est cette dernière qui a été créée au festival de Liège, mercredi 26 janvier, qui sera présentée en ouverture du festival de musiques du Val-de-Marne, Sons d'hiver, vendredi 28.
Musique contemporaine, jazz inventif, traces de fanfare et arias lyriques : l'œuvre rassemble tout l'éclectisme musical de Garrett List, qui aime raconter qu'adolescent il lui arrivait de jouer Wagner et Glenn Miller dans la même journée. Les voix, prépondérantes pour porter le texte de Mahmoud Darwich, articulent les mots avec le souci de rendre chaque terme audible.
Garrett List a composé sa partition à partir d'une traduction inédite et partielle, effectuée par Saloua Ben Abda et Hassan Chami, moins subtile que celle, intégrale, proposée par Elias Sanbar, le traducteur habituel de Mahmoud Darwich (Etat de siège, Actes Sud/Sindbad, 2004, 144 p., 23 €, "Le Monde des livres" du 14 mai 2004). Mais la puissance du verbe de Darwich demeure, rehaussée par les voix et l'orchestre.
L'ATTENTE ET L'ESPOIR
Ouverte par des roulements de tambour qui évoquent les pluies d'obus sur les villages palestiniens, la cantate donne aussitôt la parole au chœur : "Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps / Près des jardins aux ombres brisées, / Nous faisons ce que font les prisonniers, / Ce que font les chômeurs / Nous cultivons l'espoir." Le chœur du Goeyvaerts Consort chante, chuchote, scande et parle le texte, tantôt a cappella, tantôt soutenu par les quatorze musiciens de l'orchestre de chambre. L'élégie d'une mère à son fils tué - "Si tu n'es pierre, mon amour, sois lune" - donne lieu à l'un des plus beaux chorals de l'œuvre.
Avec les solistes, notamment les deux voix féminines, soprano et mezzo lyriques (Eva Oltivany et Julie Bailly), la mélancolie du poème affleure : "Si tu avais contemplé le visage de la victime / Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre à gaz, / Tu te serais libéré de la raison du fusil / Et tu aurais changé d'avis : / Ce n'est pas ainsi qu'on retrouve une identité." Elles chantent l'aube et la nuit, l'envol des colombes, l'attente et l'espoir.
Garrett List a rencontré Mahmoud Darwich en Palestine, en accompagnant un projet théâtral israélo-palestinien. "Ce qui m'impressionne le plus chez lui, explique le compositeur, c'est son humanité. Grâce à lui, nous nous interrogeons sur nos émotions et nous plongeons dans nos contradictions."
Le musicien chemine depuis plusieurs années avec des auteurs contemporains. En 1997, il a commencé une collaboration avec la compagnie de théâtre belge du Groupov, sur le thème du génocide rwandais, qui a abouti à la pièce Rwanda 94, présentée dans de nombreux festivals européens, dont Sons d'hiver. Il prépare actuellement la partition de la prochaine création du Groupov, Anathème, prévue pour le prochain Festival d'Avignon.