Des chemins qui mènent à l'exil ou
Le goût de tous les exils
Par Sadek Aissat
Juin 1996 - La Création
Mahmoud Darwich est le grand poète du monde arabe. Sa plainte est celle de la terre palestinienne.
" Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? " (1) interroge le poète palestinien. Faut-il qu'il se sente orphelin, Mahmoud Darwich, lui dont le village natal en Galilée a été rasé en même temps que tant d'autres en 1948, pour évoquer une telle nostalgie ?
Né en 1942, il peut, tel Nazim Hikmet, invoquer le goût de tous les exils comme à d'autres est familier le goût de tous les mets.
Arrêté et incarcéré à plusieurs reprises, assigné à résidence à Haïfa, il dut quitter la Palestine pour le Caire en 1970, puis s'installa deux années plus tard à Beyrouth : jusqu'à ce que les Palestiniens soient " jetés à la mer " après le siège de 1980.
Darwich évoque l'odeur du café des matins de Beyrouth dans Une mémoire pour l'oubli (2).
Il ira à Tunis, puis s'installera à Paris qu'il vient de quitter pour Amman.
En 1992, au siège de l'UNESCO, il déclame, à l'occasion de la commémoration du 500e anniversaire de la chute de Grenade :
" Je suis l'Adam des deux paradis." De combien de paradis Darwich est-il l'Adam, lui qui ne fait qu'aimer et réclamer la terre de sa patrie ? Le 28 avril 1988, alors que, depuis quelques mois, des gamins armés de pierres et d'une insolence radieuse affrontaient les fusils de Tsahal, Yitzhak Shamir, premier ministre israélien dénonçait un poème de Darwich devant la Knesset ...
Ce fut " l'affaire du poème " (3), une opération médiatique qui mit en émoi l'opinion israélienne et la diaspora, en France particulièrement.
" Alors, sortez de notre terre / de notre ferme, de notre mer / de notre blé, de notre sel, de notre blessure / de toute chose, sortez / des souvenirs de la mémoire / ô vous qui passez parmi les paroles / passagères ".
La paix, la terre, le sel, la blessure, Darwich expliquait tout cela à un journaliste israélien en 1988."
- Dites-moi quel est votre pays ?
- Mon pays c'est mon pays, la Palestine.
- Toute la Palestine ?
- Oui. Toute la Palestine est mon pays. Quelqu'un vous a-t-il trompé en prétendant que la Palestine n'était pas mon pays ?
- Non, mais c'est mon pays.
- Vous, vous estimez que votre pays s'étend du Nil à l'Euphrate, alors que moi je pense que seule la Palestine est mon pays.
- Et nous, quelles sont nos frontières ?
- C'est à vous de dire quelles sont vos frontières, à l'intérieur de notre pays. Car les bottes du soldat occupant ne peuvent tenir lieu de frontières, comme le pensait le général Dayan. Nous, nous ne demandons pas quelle est notre patrie, parce que nous la connaissons très bien. Nous demandons seulement sur quelle partie de la terre de notre patrie sera fondé notre Etat. Nous, nous ne vous avons rien pris. Ce que nous prenons est à nous. Si vous vous retirez de chez nous pour retourner dans ce qui est à nous, cela ne veut pas dire pour autant que nous vous prenons quelque chose. Vous comprenez ?
- Non, je ne comprends pas."
Au lendemain de l'accord Gaza-Jéricho, Darwich quitte, sans faire de vagues, le CE-OLP et ses fonctions de ministre de la Culture au sein de l'organisation palestinienne.
Comme bien des années plus tôt, il avait quitté le Rakah, le Parti communiste israélien.
Il n'a jamais quitté la poésie. Il peut dire :
" Ainsi qu'une fenêtre j'ouvre sur ce que je veux / J'ouvre sur mes amis qui apportent le courrier du soir / du pain, du vin, quelques romans / Et des microsillons "
Darwich est reconnu comme un grand poète dans le monde arabe. Certainement le plus important actuellement.
Lui, il observe :
" Ils ont sellé les chevaux / ils ne savent pas pourquoi / Mais ils ont sellé les chevaux dans la plaine ".
Il reste poète. Le poète.
En quête d'une géographie nouvelle pour la nostalgie du lieu, du temps, de l'odeur du café et de la nuit du hibou.
1. Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? Actes Sud, Paris, 1996.
2. Une mémoire pour l'oubli, Actes Sud, Paris, 1994.
3. Palestine mon pays.Editions de Minuit, Paris, 1988.On y trouve, outre le poème en question (" Passants parmi les paroles passagères "), des textes d'intellectuels israéliens ayant pris la défense de Darwich et un texte du poète relatif à cette " affaire ".