L’arrivée de la délégation du Parlement international des écrivains à Ramallah suscite une forte émotion, en particulier pour le poète Mahmoud Darwich, placé au coeur de ce voyage. Le 25 mars 2003, lors des rencontres organisées par les écrivains palestiniens au Centre culturel Khalil Sakakini, celui-ci prononce un discours hommage à lattention de ces « maîtres des mots », dont les préoccupations ne sont pas seulement littéraires mais aussi morales. Une manière symbolique dinscrire la Palestine dans la culture mondiale.
« Cest pour moi un grand plaisir et un honneur de vous accueillir sur cette terre en son printemps sanglant, une terre qui a la nostalgie de son vieux nom : terre damour et de paix.
Votre visite courageuse pendant ce siège monstrueux est une façon de rompre le siège. Votre présence ici brise notre sentiment disolement. Avec vous, nous nous rendons compte que la conscience internationale, dont vous êtes les honorables représentants, vit encore, quelle est capable de protester et de prendre le parti de la justice. Vous nous avez donné lassurance que les écrivains ont encore un rôle important à jouer dans la lutte pour la liberté et le combat contre le racisme.
La responsabilité envers la destinée humaine ne peut limiter son expression au texte littéraire. Dans des situations durgence et de calamité humaine, lécrivain se met en quête dun rôle moral à jouer dans dautres formes daction publique, un rôle qui renforce son intégrité littéraire, qui mobilise la conscience publique autour de valeurs morales élevées, dont la plus importante est la liberté. Cest ainsi que nous lisons le noble message que vous nous adressez aujourdhui : un message de solidarité et de sympathie.
Je sais que les maîtres des mots nont nul besoin de rhétorique devant léloquence du sang. Cest pourquoi nos mots seront aussi simples que nos droits : nous sommes nés sur cette terre, et de cette terre. Nous navons pas connu dautre mère, pas connu dautre langue maternelle que la sienne. Et lorsque nous avons compris quelle porte trop dhistoire et trop de prophètes, nous avons su que le pluralisme est un espace qui embrasse largement et non une cellule de prison, que personne na de monopole sur une terre, sur Dieu, sur la mémoire. Nous savons aussi que lhistoire ne peut se targuer ni déquité, ni délégance. Notre tâche pourtant, en tant quhumains, est dhumaniser cette histoire dont nous sommes simultanément les victimes et le produit.
Il nest rien de plus manifeste que la vérité palestinienne et la légitimité palestinienne : ce pays est le nôtre, et cette petite partie est une partie de notre terre natale, une terre natale réelle et point mythique. Cette occupation est une occupation étrangère qui ne peut échapper à lacception universelle du mot occupation, quel que soit le nombre de titres de droits divins quelle invoque ; Dieu nest la propriété personnelle de personne.
Nous avons accepté les solutions politiques fondées sur un partage de la vie sur cette terre, dans le cadre de deux Etats pour deux peuples. Nous ne réclamons que notre droit à une vie normale, à lintérieur des frontières dun Etat indépendant, sur la terre occupée depuis 1967, dont Jérusalem Est, notre droit à une solution équitable du problème des réfugiés, à la fin de linstallation de colonies. Cest la seule voix réaliste vers la paix qui mettra un terme au cercle vicieux du bain de sang.
Létat de nos affaires est dune criante évidence, il ne sagit pas dune lutte entre deux existences, comme aimerait le montrer le gouvernement israélien : eux ou nous. La question est den finir avec une occupation. La résistance à loccupation nest pas seulement un droit. Cest un devoir humain et national qui nous fait passer de lesclavage à la liberté. Le chemin le plus court pour éviter dautres désastres et accéder à la paix est de libérer les Palestiniens de loccupation, et de libérer la société israélienne de lillusion dun contrôle exercé sur un autre peuple.
Loccupation ne se contente pas de nous priver des conditions élémentaires de la liberté, elle va jusquà nous priver de lessentiel même dune vie humaine digne, en déclarant la guerre permanente à nos corps et à nos rêves, aux personnes, aux maisons, aux arbres, en commettant des crimes de guerre. Elle ne nous promet rien de mieux que lapartheid et la capacité du glaive à vaincre lâme.
Mais nous souffrons dun mal incurable qui sappelle lespoir. Espoir de libération et dindépendance. Espoir dune vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à lécole. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre damour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir. »