La mort, il l'avait côtoyé à plusieurs reprises. Au point, d'ailleurs, d'en tirer une magnifique parabole, Al-Jiddariyya, que le public genevois a pu découvrir sur la scène du théâtre Saint-Gervais en 2005.
Mahmoud Darwich, décédé samedi à 67 ans des suites d'une énième opération du coeur, était l'un des plus grands poètes de langue arabe. Son nom, vénéré dans sa Palestine natale, avait même circulé parmi les jurés du Nobel il y a une paire d'années. S'il n'avait pas décroché le prix, Mahmoud Darwich n'en était pas moins resté ce «chantre du retour à la vie normale, poète des métissages historiques et des peaux aimées», ainsi que l'écrivait l'éditeur et critique français Manuel Carcassonne.
"L'Histoire n'a pas de but"
Cette voix-là, qui portait loin les échos souvent tragiques d'un peuple et d'une terre, certains l'avaient identifiée comme étant celle du «poète officiel de la résistance». Un rôle, forcément réducteur, que le principal intéressé se refusait d'endosser. «Palestinien n'est pas une profession», répondait-il à ceux qui l'interrogeaient sur ses engagements.
Né en 1941 à Al-Birweh dans la Palestine du mandat britannique, Mahmoud Darwich fut pourtant l'inspirateur de l'OLP - organisation dans laquelle il exerça des responsabilités - et noua rapidement des liens étroits avec Yasser Arafat avant de prendre ses distances. Son humanisme, comme ses muses issues de la tradition lyrique, ne se conciliait guère l'Histoire immédiate qui précipite les jugements.
«L'Histoire n'a pas/de sentiments pour que nous ayons la nostalgie/de notre commencement. Elle n'a pas de but/pour que nous sachions/ce qu'est l'après/ce qu'est l'avant», écrivait-il dans un poème intitulé Ne mets pas l'histoire en vers. A la place de l'Histoire, qui de tous les miroirs est le plus déformant, ce sont «les» histoires, d'exil, de terre, d'individus, que Mahmoud Darwich mettait en vers ou en prose.
Palestine, lieu pluriel
La force de ses poèmes était telle que le ministère israélien de l'éducation envisagea de les inscrire au programme. Sharon lui-même devait déclarer, après avoir lu Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude: «Ça m'a fait comprendre l'attachement des Palestiniens à leur terre». Le poète connaissait bien Israël, pour y avoir fait ses études et participé à la rédaction du journal du Parti communiste israélien.
Evoquant les deux «frères ennemis», Mahmoud Darwich relevait dans un entretien au quotidien L'Humanité: «La différence entre ce que je défends et la mentalité officielle israélienne, c'est que celle-ci conduit à une conception exclusiviste de la Palestine alors que, pour nous, il s'agit d'un lieu pluriel, car nous acceptons l'idée d'une pluralité culturelle, historique, religieuse en Palestine. Ce pays en a hérité. Il n'a jamais été unidimensionnel ni à un seul peuple. Dans mon écriture, je m'avoue l'enfant de plusieurs cultures successives. Il y a de la place pour les voix juive, grecque, chrétienne, musulmane».
Les derniers ouvrages du poète étaient empreints d'un humour sarcastique et du sentiment que Palestiniens comme Israéliens, bien qu'en conflit, étaient irrémédiablement liés pour partager un avenir incertain.
«Le sarcasme m'aide à surmonter la dureté de la réalité que nous vivons, à apaiser la douleur des cicatrices et à faire sourire les gens», constatait-il, avant de conclure: «L'histoire se moque autant de la victime que de l'agresseur».